lundi 11 juin 2007

"Le Monde" s'est recroquevillé sur lui-même

Cette interview de Daniel Schneidermann a été réalisée pour le nouvelobs.com.

Que pensez-vous des quatre candidats en lice pour la succession de Jean-Marie Colombani à la tête du "Monde" ? L'un d'entre eux vous paraît-il meilleur que les autres ?

- On peut dire que Pierre Jeantet est le candidat de la continuité de la "stratégie colombanienne". Il était d'accord avec l'"opération sud", qui consiste en un possible rapprochement du groupe avec les titres de la presse quotidienne régionale appartenant au groupe Lagardère. C'est le candidat d'Alain Minc et des actionnaires extérieurs. Mais, dans la mesure où la rédaction a voté contre cette proposition de rapprochement, cette solution paraît inacceptable. Sa nomination serait vécue comme une provocation vis-à-vis de la rédaction.
De son côté, Bruno Patino est plus flou concernant le projet de "pôle sud". Il ne s'est pas engagé à le réaliser. Philippe Thureau-Dangin s'est prononcé contre le projet. Par conséquent, une partie du conseil de surveillance ne voudra pas de sa candidature. Quant à Alain Genestar, il a peu de chances, mais pourquoi pas. Cependant, je ne suis pas sûr qu'il ait le profil. Personne n'en veut sérieusement. S'il était nommé, ce serait un sacré pied de nez par rapport au pouvoir politique et au groupe Lagardère. Les deux candidats qui me semblent le plus vraisemblables sont, selon moi, Bruno Patino et Philippe Thureau-Dangin.

Quel bilan tirez-vous de l'ère Colombani ?

- Le bilan est contrasté, même si on me reprochera de ne pas être objectif, après mon licenciement (en octobre 2003). A son actif, on peut dire qu'il a permis au journal de survivre. Il a également su développer le site internet du quotidien. Enfin, il a su constituer un véritable groupe, qui n'existait pas avant lui. Dans la colonne "passif", la présidence Colombani a porté un coup très dur à la crédibilité du "Monde". L'opacité de ses méthodes de direction, décrites dans le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, "La Face cachée du Monde", et son style de commandement ne sont simplement plus possibles aujourd'hui. Les trafics d'influence qu'ont révélés les deux auteurs ont porté un coup à la crédibilité du journal.
Il aurait fallu changer de directeur à ce moment-là, mais le journal s'est recroquevillé sur lui-même dans un réflexe de citadelle assiégée. La crédibilité du "Monde" a été entamée et il ne s'en est pas relevé. Il ne s'en relèvera que quand la "troïka des anciens" laissera sa place. Deux sont déjà partis, il n'en reste plus qu'un : Jean-Marie Colombani.
Des modifications ont déjà eu lieu dans l'organisation du journal. Après le désaveu de Colombani par la société des rédacteurs, une réforme des statuts a été votée. Les fonctions de président du groupe et de directeur de la rédaction sont désormais disjointes. C'est une leçon tirée de l'expérience Colombani.

En tant qu'ancien journaliste du Monde, comment vivez-vous la succession de Jean-Marie Colombani à la tête du groupe ? Maintenant qu'il est parti, envisagez-vous de revenir ?

- Le problème, c'est qu'on ne croit plus ce qu'on lit dans "Le Monde". La crédibilité était le trésor du journal, la prunelle de ses yeux. Autrefois, quand on lisait un article du "Monde", on était persuadé que ses enquêtes étaient écrites de bonne foi, alors qu'apparemment, ce n'était pas forcément vrai. Jean-Marie Colombani, en tant que patron, est le premier responsable de cette perte de crédibilité du journal.
Quant à moi, je n'ai pas de raison particulière d'y retourner définitivement, mais y aller, pourquoi pas, ça dépend pour quoi faire. Un des défis pour les médias traditionnels est de parvenir à les marier avec les nouveaux médias (forums, blogs…). Dans un sens, "Le Monde" le fait avec son site, mais il le fait de manière insuffisante, trop embryonnaire.

PS : La version relue par Daniel Schneidermann est disponible sur le site (http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/opinions/20070611.OBS1356/le_bilan_de_colombani_est_contraste.html). Le texte ce-dessus constitue la première version.

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