jeudi 22 février 2007

Interview de Martin Winckler

« Ecrire un best-seller, c’est un hasard »

Avant son année sabbatique (déjà remplie), Martin Winckler, tenue décontractée, a accepté de s’arrêter dans un café parisien. L’écrivain-médecin auteur de La Maladie de Sachs et de nombreux ouvrages en tous genres est un homme occupé. Attablé devant son jus d’orange, il parle d’un ton posé mais ferme et s’emporte un peu plus lorsqu’il s’agit de dénoncer les « salauds » de la profession de soignant.

Vous vous définissez souvent comme « soignant-écrivain ». Qu’entendez-vous par là?
Quand on m’interroge, je dis que je suis médecin et écrivain parce que ce sont mes deux professions. Je fais de la médecine générale mais à l’hôpital. Et puis, la plus grande partie de mon temps, je la consacre à écrire des tas de bouquins très différents. En gros, de la fiction, des essais sur les soins et le métier de soignant et des critiques sur la fiction télévisée.

Comment passe-t-on de l’une à l’autre de ces activités?
J’ai commencé à écrire quand j’avais 10-12 ans mais je vivais dans la maison d’un médecin. L’écriture c’est une activité qui ne m’a jamais quittée. Donc en fait, je ne suis jamais vraiment passé de l’un à l’autre, j’ai appris à écrire en même temps que j’apprenais à soigner. Quand j’étais enfant et adolescent, j’ai appris indirectement ce que c’était que soigner et puis ensuite, à l’âge adulte, j’ai commencé à faire les deux de façon d’abord militante et ensuite, professionnelle. D’ailleurs, j’ai commencé à gagner ma vie en écrivant l’année où je me suis installé comme médecin généraliste. J’ai mené les deux en parallèle.

Quels sont les points communs entre vos deux activités principales?
Je pense que soigner et écrire sont deux activités complémentaires parce que le soignant est dans la position de l’auditeur, du spectateur. Les gens vous racontent leurs histoires, ils vous prennent à témoin de leur malheur, de leur situation. Quand on devient écrivain, c’est parce qu’à son tour, on a envie de prendre les autres à témoin et de restituer aussi ce dont on est le dépositaire. Pour moi ce sont deux activités qui se nourrissent mutuellement.

C’est comme une mission, l’écriture?
Non, ce n’est pas une mission, parce que personne ne m’a missionné. C’est un engagement. Une mission, c’est sacré, religieux. L’écriture, c’est une éthique. C’est la même chose qu’un soignant. Il y a de multiples manières de soigner, même indirectement. On peut enseigner, écrire, réfléchir, travailler à des projets qui permettront le soin. Je considère que quelqu’un qui a une formation médicale, scientifique, et qui n’utilise pas son travail pour être soignant, par exemple qui bosse exclusivement pour l’industrie pharmaceutique la plus crapuleuse, c’est-à-dire celle qui ne cherche qu’à faire du pognon, je pense que ce n’est pas bien. Moralement, ça pose problème. Je pense qu’un médecin qui ne partage pas son savoir, c’est une crapule ! L’écrivain doit utiliser la parole pour essayer de faire bouger le monde, ne serait-ce qu’un tout petit peu, ne serait-ce qu’à l’intérieur de quelques têtes.

Comment vit-on après un succès tel que celui de La Maladie de Sachs?
Ecrire un livre qui a été un best-seller, ça a changé beaucoup de choses, mais pas l’essentiel. Ca a changé mes conditions de vie, mais pas la manière dont je vis. Et puis ça vient récompenser un travail que j’ai appris à faire sans attendre de rétribution, sans attendre de reconnaissance. (Il réfléchit un temps) On survit à un best-seller en continuant à travailler, en continuant à vivre et en passant à autre chose. Et surtout en ne parlant jamais de son livre uniquement comme étant un best-seller, mais comme un travail. Ecrire un best-seller, c’est un hasard. Je suis heureux parce que j’écris des livres pour transmettre, pour faire plaisir, pour secouer. Après, le texte n’appartient plus à celui qui l’a écrit, il appartient à celui qui le découpe, qui l’utilise à sa guise.

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